Prélude
 

(Texte : Fred Walin)

J’avais pris l’habitude de venir m’installer dans ce lieu paisible pour travailler. Au milieu des livres et d’une jeunesse qui commençait à m’échapper, je trouvais enfin, dans cette ambiance studieuse, l’obscur confort que je cherchais. Les mots étaient là, partout autour de moi, il était impossible qu’ils m’échappent.

Entre ces murs chargés d’histoires et tapissés de phrases illustres, j’espérais trouver l’inspiration. La géométrie parfaite des boiseries qui m’entouraient me rappelait la rigueur et la précision qu’il me fallait mettre dans chacun de mes couplets.
Le silence était comme un bourdon sur lequel venaient se poser quelques chuchotements. Le chant à plusieurs voix des pages griffonnées se mêlait à l’improvisation d’une trousse qui se ferme ou d’un clavier que l’on frôle. Derrière les fenêtres, le tumulte de la rue était à peine perceptible.
J’étais là, immobile, dans la contemplation inerte de cette ambiance sonore et visuelle. Quelques vers incertains se croisaient sur ma feuille dans l’espoir de faire naître un refrain.

Plus loin, j’aperçus, dans un encadrement de silhouettes, une jeune femme. Elle était de dos et d’où j’étais, je ne pouvais pas voir son visage. Quelques mèches de ses cheveux châtains, négligemment noués, lui retombaient sur la nuque. Un tricot marron trop large découvrait son épaule. La bretelle détendue d’un bustier que l’on devinait un peu était également tombée sur son bras.
D’un mouvement désinvolte, la jeune femme tenta de dompter la bretelle insoumise, mais fort heureusement pour moi, elle n’y parvint pas. Toute la beauté, toute la légèreté du monde venait de se poser sur cette épaule. J’avais alors le sentiment d’être le seul témoin de cette splendeur anonyme.
Elle garda cette élégante posture suffisamment longtemps pour que mes lignes se transforment en vers.

J’achevais mon texte quand elle se leva pour sortir. Je pris soin de détourner les yeux pour ne pas voir son visage.
Elle s’éloigna lentement pendant que sous mes doigts finissait de se graver le souvenir suffisant de cette épaule clandestine.